Ma dysbiose est génétique, mais je me soigne !
La dysbiose
Voici un terme que vous avez sans doute déjà lu ou entendu si vous vous intéressez à la santé intestinale. L’usage de ce mot a été largement développé avec les récentes découvertes sur le microbiote. En effet, la dysbiose est définie comme un déséquilibre quantitatif ou qualitatif du microbiote. Pour simplifier à l’extrême une situation très complexe (il y a plus de 400 espèces bactériennes dans un équilibre très subtil dans notre intestin) disons que la dysbiose peut se manifester notamment par une perte de diversité bactérienne, une disparition de « bonnes » bactéries ou une augmentation d’une flore pathogène. Ces déséquilibres sont associés à des conséquences très néfastes pour la santé. Le terme dysbiose s’oppose à celui moins connu, d’eubiose, qualifiant un microbiote intestinal « sain ». Les causes de la dysbiose sont multiples et bien connues. Stress, alimentations inadaptées, prise de certaines classes de médicaments (notamment antibiotiques, inhibiteurs de sécrétion gastrique – IPP ), dysfonctions gastriques, biliaires, ménopause, alcools, sports intensifs, toxines, polluants… Savez-vous que des facteurs génétiques peuvent être aussi impliqués ? J’entends déjà certain se demander : « mais pourquoi consacrer un article à cela ? » A quoi bon savoir que nos douleurs intestinales, nos problèmes de constipations récurrentes, nos lourdeurs digestives chroniques sont génétiques ? » Certains diront même que c’est contre-productif, puisque c’est une fatalité contre laquelle nous ne pouvons rien. Cela peut même dangereusement conduire à une déresponsabilisation, à ce que l’on pourrait appeler des « bons prétextes génétiques » : « je n’y peux rien c’est génétique, pourquoi changer mon mode de vie?! ». Alors ne vaut-il mieux pas ne pas s’occuper de génétique, et agir sur les facteurs qui sont à notre portée, c’est à dire une bonne partie de ceux que nous avons évoqué quelques lignes plus haut ? Cela parait évident et pleins de bons sens. Mais ce n’est plus vrai au XXIe siècle. Voyons cela de plus près.

Polymorphisme génétique
Je tiens à préciser que je laisse ici de côté l’épigénétique. J’ouvre d’ailleurs une petite parenthèse sur ce sujet qui est certes passionnant, très médiatisé, responsabilisant aussi (je peux changer malgré mes gènes !), mais aussi malheureusement trop vite récupéré par des laboratoires irresponsables. Dans un récent congrès de naturopathie, une communication proposait de « tester notre épigénome » à partir de nos cheveux ! Soyons sérieux, l’épigénétique est une science très complexe, pratiquée dans des laboratoires de pointe et très loin d’être accessible à la routine d’une pratique de naturopathie/micronutrition ! Au mieux peut-ont aujourd’hui proposer des produits qui facilitent un processus biochimique appelé méthylation dont on sait qu’il joue un rôle clef dans l’épigénétique. Mais là encore les laboratoires qui vendent ces produits en clamant leur « action épigénétique » sont essentiellement dans du marketing, en surfant sur un terme très tendance. Fermons la parenthèse « épigénétique » et ouvrons en une plus accessible à la pratique : le polymorphisme génétique.
Autant le terme « épigénétique » est maintenant assez connu, autant celui de « polymorphisme » est rarement évoqué. Et pourtant, il s’agit de quelque chose de très important à connaitre avec des conséquences potentielles sur la prise en charge. De quoi s’agit-il ? Il s’agit le plus souvent de variations génétiques mineures touchant un seul nucléotide dans un gène (soit une lettre changée sur en moyenne 30.000 lettres pour un gène !!). Une grande partie de ces variations (dites « SNPs » pour Single Nucleotid Polymorphism) sont sans conséquences. Ainsi, une faute de frappe dans la recette d’un livre de cuisine ne vous empêchera pas dans la plupart des cas de réaliser la recette correctement. En revanche, pour continuer l’analogie, si au lieu de 6 œufs il est indiqué dans la recette 3 œufs (faute de frappe ! variation d’un seul caractère) il se peut que le produit final soit légèrement modifié !! C’est ce qui se passe parfois avec les SNPs. Tous les gènes et donc toutes les protéines présentent des polymorphismes et donc une variabilité fonctionnelle. Donnons un exemple pour être concret. La toxicité au mercure. De petites variations génétiques sur une protéine sanguine, appelé apolipoprotéine (APO) rend plus vulnérable aux fameuses intoxications au mercure car une des fonctions de cette protéine (la chélation ou séquestration du mercure) est perdue. Deux petites lettres, grosses conséquences et une adaptation de mode de vie qui doit être entreprise en conséquence.
Le gène FUT2 dans la dysbiose
Revenons petit à petit au sujet de la dysbiose. Vous avez sans doute déjà entendu parler du mucus intestinal. Il s’agit d’une substance gélatineuse produite par la muqueuse intestinale dont on découvre chaque jour davantage l’implication dans l’équilibre du microbiote. Entre autre, et pour faire simple, disons qu’il sert d’ancrage et offre un support nutritif à certaines bactéries du microbiote. Or, il s’avère que ce mucus est constitué de protéines riches en groupements glucidiques. Pour bien comprendre plongeons un instant au cœur de la cellule intestinale (précisément la cellule de Goblet qui synthétise le mucus). Suivez le guide-biochimiste !!

Nous rentrons dans un petit compartiment de la cellule appelé appareil de Golgi et là nous voyons une enzyme à l’œuvre (l’enzyme FUT2 ou Fucosyltransferase 2 – qui est concentrée à l’intérieur de la cellule dans la zone en vert foncé sur le schéma) qui greffe un sucre sur une protéine pour finaliser la synthèse d’un mucus optimal. Mais il s’avère que chez 20% d’entre nous cette enzyme FUT2 est sujette à un polymorphisme la rendant inopérante. Il y a une ou plusieurs mutations sur le gène FUT2. En conséquence le mucus n’a pas sa glycosylation finale (l’ajout de sucre) et donc c’est une « mauvais mucus ». Il a été montré que ce polymorphisme FUT2, avec son mauvais mucus, est responsable d’un changement du microbiote. Il est d’autre part associé à un risque accru de candidose chronique, de maladie de Crohn, de maladie cœliaque, de diabète de type 1, d’infection du tractus urinaire… Mais ce qu’il faut retenir surtout pour cet article c’est que cette mutation a un effet « bifidoprive », en d’autres termes cette mutation diminue la richesse du microbiote en bifidobactéries qui sont comme chacun le sait des « bonnes bactéries ». Résumons nou s: mutation du gène FUT2 = concerne 20% d’entre nous = induit la production d’un mauvais mucus = générateur de dysbiose liée à un facteur génétique. Certains laboratoires d’analyses spécialisés ont mis en place la recherche de la mutation du gène FUT2. Il est donc possible de savoir si l’on présente un polymorphisme sur ce gène (savoir si l’on fait partie des 20%).
Des produits bifidogènes qui compensent le polymorphisme FUT2
A partir de là, il faut savoir qu’il existe un produit (précisément un tri-saccharide composé de fructose- galactose – glucose, appelé 2′ fucosyllactose) commercialisé par plusieurs laboratoires en France (cet article n’est évidemment pas une pub, je ne cite donc pas de marque). Ce produit va venir compenser l’absence de l’activité enzymatique. Ici je suis précis. Le produit ne va pas permettre d’apporter le sucre manquant à votre mucus (c’est impossible – seule la thérapie génique permettrait cela ! Or, cette dernière concerne uniquement des protocoles très lourds dans des pathologies graves : thalassémie, hémophilie…). Votre mucus restera donc « défectueux ». Cependant, il a été montré que ce produit pouvait palier à l’activité « bifidoprive » induite par un « mauvais mucus ». On va donc qualifier ce produit de bifidogène. Très bien, mais peut-ont savoir si ce produit est intéressant même sans avoir fait le test FUT2 ? Plusieurs indices peuvent donner envie de le tester.
- En premier lieu la présence d’une dysbiose (plutôt sévère).
- Cette dysbiose n’est pas épisodique mais à tendance chronique. Elle est présente depuis longtemps et réfractaire.
- D’autre part, cette dysbiose est plutôt très résistante aux probiotiques, c’est à dire que malgré une complémentation correctement conduite, les probiotiques n’ont aucun effet sur vous. C’est sans doute un des signes principaux. En d’autres termes, vous êtes non répondeurs aux probiotiques. Pourquoi ? On peut dire que votre mucus « ne retient pas » les bonnes bactéries apporter par les probiotiques. Vous n’êtes donc pas sensibles aux tentatives pour réensemencer votre intestin avec des bonnes bactéries, ce qui, normalement, dans des protocoles bien conduits corrige la dysbiose.
- Enfin vous êtes concernés par les pathologies évoquées comme étant à risque (voir quelques lignes plus haut).
La morale de ce texte ? Si vous entendez quelqu’un dire « c’est génétique je n’y peux rien », vous pourrez lui répondre que non seulement il peut corriger les autres facteurs de risques de son problème (se prendre en charge en somme), mais dans certaines situations il peut aussi « soigner » son problème génétique ! Elle est pas belle la science ?!
Bruno Mairet, Ingénieur en Biochimie, consultant et formateur en Santé Fonctionnelle
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